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Le réalisateur de ce film, Pierre PEZERAT, a fait un film sur son père, Henri Pezerat, chercheur et militant, qui a consacré la deuxième moitié de sa vie à défendre les victimes ouvrières contre les atteintes à la Santé au Travail. Le film racontera comment il a été un acteur important, même si méconnu, de l’interdiction de l’amiante en France. Il racontera comment, à sa mort, en 2009, sa compagne Annie, et quelques autres ont repris le flambeau de sa lutte, en créant l’association qui porte son nom et dans laquelle il a rencontré les personnages du film.
Le mot du réalisateur :
C’est un film sur des hommes et femmes en demande de justice.
Les personnages du film ont quasi tous rencontré mon père un jour et avec lui, ont entamé des luttes qui les auront profondément changés dans le sens même qu’ils donnaient à leur vie. J’ai eu l’idée de ce film en les écoutant raconter leurs combats, récits qui faisaient écho à ceux que j’entendais à la table familiale. Notamment celui de Josette, l’ancienne ouvrière d’une usine d’amiante de Clermont-Ferrand, qui, au milieu des années 70, voit arriver avec un œil critique, une délégation de Jussieu dont faisait partie Henri et qui en parle 40 ans après, avec une émotion qu’elle a du mal à contenir.
Qu’ils soient victimes de l’amiante, des pesticides ou d’autres poisons, ces hommes et ces femmes retrouvent leur dignité dans le combat pour faire reconnaître leur maladie et demander des comptes à ceux qui les ont empoisonnés. Et ce besoin de justice s’affranchit totalement du cadre socio-culturel de ceux qui sont victimes, il va même casser le clivage qui peut exister entre les milieux aussi éloignés que le monde ouvrier et le monde paysan. C’est ainsi que deux des personnages du film, Jean-Marie l’ouvrier syndicaliste, et Paul, le petit patron agriculteur, vont se découvrir à travers l’histoire qu’ils ont vécue, d’innombrables points communs. Leur rencontre ayant été provoquée pour les besoins du film, l’amitié qui est née entre eux au cours du tournage a été une très bonne surprise.
C’est un film sur le mensonge organisé...
Que ce soit avec l’amiante, ou avec les pesticides, au 20 ème ou au 21 ème siècle, les pratiques de certains industriels peu scrupuleux et de leurs lobbies sont toujours les mêmes, et en plus ça marche. D’abord, il s’agit de produire au moindre prix une marchandise, quelqu’en soit son caractère dangereux, puis d’organiser le mensonge sur sa non dangerosité. Et ce mensonge s’appuie hélas sur la science, avec des experts placés dans des organismes de contrôle, judicieusement choisis puisque payés par les firmes dont elles examinent les produits, et sur une médecine du travail et de la Sécurité Sociale, victimes de la culture du résultat.
Le grand mensonge de l’amiante est raconté ainsi dans le film avec l’histoire du chat endormi (le salarié) qu’il ne faut surtout pas réveiller. La collusion entre les industriels et certains services de l’Etat est évoquée dans l’exemple de la Coopérative Nutréa Triskalia, où des salariés ont été victimes du syndrome d’Hypersensibilité Chimique après un usage violent de pesticides. Cette histoire bretonne est un pur condensé de ce contre quoi luttent les personnages de ce film.
C’est un film sur le prix de la dignité et la nécessité de se bagarrer
Quels qu’ils soient, toutes les victimes d’atteintes à la santé au travail sont passées par la moulinette du soupçon. Soupçon de l’usurpateur, soupçon du dépressif, soupçon du fainéant, chacun d’entre eux raconte comment cela a été terrible de subir ces accusations, y compris de la part de médecins.
Le film explique d’ailleurs la difficulté de la médecine à explorer le lien entre la présence toujours plus importante de produits d’origine chimique dans l’environnement et la montée très importante du nombre de cancers en France.
Il montre aussi que c’est avec la mobilisation des travailleurs de l’amiante, puis l’arrivée des problèmes de santé chez les consommateurs que l’interdiction de l’amiante a pu être possible.
Et de façon implicite, il nous pose une question, à nous les consommateurs, forts de l’exemple des travailleurs, de ceux que mon père appelait les sentinelles du milieu environnemental, jusqu’à quand nous laisseront-nous empoisonner ?
En gagnant son procès en appel contre Monsanto, Paul François, l’agriculteur, montre en tout cas, à la fin du film, combien la victoire est belle, combien elle lui a coûté, et en quoi elle est hautement symbolique et porteuse d’espoirs.
Pourquoi ces personnages, pourquoi ce film ?
C’est une histoire humaine, vue de mon point de vue de fils de mon père. D’une certaine façon, c’est pour moi l’occasion de partager avec lui à posteriori, un sentiment que je n’avais pas analysé jusqu’ici, qui est un profond respect pour le milieu ouvrier.
Ce n’est pas un reportage, il ne se veut pas objectif. Le point de vue des industriels ne m’intéresse pas, la langue officielle, très peu pour moi, seul celui de l’avocat de Monsanto, caricatural, est évoqué .
Pourquoi ?
Parce que ceux qui m’intéressent, ce sont ces hommes et ces femmes qu’on n’entend jamais nulle part, qui du haut de leur commune absence du moindre diplôme, nous délivrent quelques messages où l’intelligence, en plus du sentiment de révolte, s’est invitée au premier rang.
Ce qui, à l’heure où certains écoutent avec intérêt les discours simplistes basés sur la haine de l’autre, est réconfortant.
D’autre part, face au rouleau compresseur de la pensée, qu’est le dogme de la consommation-croissance, ils réaffirment des principes fondamentaux de la vie en société :
Rien ne justifie qu’on mette la vie d’autrui en danger, et surtout pas l’argent.
Jouer sur la peur de faire perdre son emploi à quelqu’un, le forcer à accepter ainsi des conditions de travail qui détruisent sa santé et même sa fierté d’être humain, est quelque chose de criminel, n’en déplaise aux tenants de la dérégulation économique. Et ce sont les sentinelles qui le disent.
Pierre Pezerat
Au cinéma LE RIO de Clermont-Ferrand à compter du 8 novembre 2017
Article publié le 9 novembre 2017.